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Un retour difficile

 

«Moi aussi, je me sentais mieux. Mais mon mal du pays n’a pas cessé. C’était terrible : on est loin au milieu du néant. On voit l’air vibrer à cause de la chaleur, comme dans un four qu’on chauffe. Et on regarde et on se dit : “Mon pays est quelque part par là.” Et j’avais un désir si fort de rentrer à la maison même si je savais que je n’avais personne, parce que ma famille était partie. Si je rentrais, que trouverais-je alors que je n’ai personne?

Vous n’aviez pas de frères ni de sœurs ?
Non. Je n’avais pas de… je n’en sais rien ! Ma vie familiale est comme ça : je ne sais absolument pas qui, quoi, comment. On m’a juste dit qu’ils étaient morts et… plus tard, j’ai trouvé un cousin qui vit encore aujourd’hui. Ils habitent à Kàl. 
Il était vraiment, comme je m’en souviens, la seule personne que je sentais appartenir à ma famille… mais rien d’autre. Lui aussi était seul. Vraiment, je n’ai pas su trouver une personne à laquelle je me sente plus proche. Mes parents adoptifs, pourtant, sont rentrés à la maison. Mais lui a été emprisonné et est mort là-bas, et elle a perdu la raison. En somme, toute la famille s’est entièrement décomposée.
Je suis rentrée. Je n’osais pas beaucoup me faire remarquer parce qu’au retour, nous étions tous considérés comme des ennemis de la patrie, des traîtres. Même ceux qui savaient nous parlaient peu, de peur de poser une question ou d’apprendre quelque chose qu’ils ne devaient pas savoir. Et tout ça s’est petit à petit estompé. Ces 9 ans ont quand même effacé beaucoup de choses…

Ça a duré 9 ans donc…
Oui… Ces 9 ans ont effacé beaucoup de choses en moi aussi. J’ai fini par avoir le sentiment que j’étais de nulle part. Pour être sincère, j’avais même peur quand on nous a mis dans le train de retour. J’avais peur : “Où vais-je aller ? Que va t’il m’arriver ?”. Parce que je ne savais rien de la Hongrie, de comment ça se passe ici, quelles sont les circonstances. On ne savait rien. En tout cas pas moi.»