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L'extrême-onction

C’était peut-être le sixième ou le huitième jour, je balayais. Je savais déjà qu’au bout d’un des couloirs, il y avait 6 cellules de condamnés à mort. A ce moment-là, 32 condamnés à mort y attendaient leur exécution. Là, le Saint Esprit et Dieu m’ont encore fait un clin d’œil ; et m’ont poussé à chanter en hongrois ça : « un prêtre catholique fait le ménage ici. Celui qui veut faire sa sainte confession, qu’il se repente de ses pêchés et d’ici je lui donnerai l’absolution. Vous avez certainement entendu qu’il existe ce genre de choses chez les catholiques. Donc… à l’époque, l’absolution était encore donnée en latin « ego te absolvo a pecatis tuis » : je t’absous de tes pêchés. Pour ça, j’ai cherché une chanson populaire hongroise. Aujourd’hui, plus personne ne la connaît, mais à l’époque elle était connue, même les tsiganes la jouaient. « Je n’ai pas de toit, ni de houppelande»… « ego te absolvo a pecatis tuis » et je chantais, chantais l’absolution. C’est alors que j’ai compris que ce n’est pas le tribunal militaire qui m’a condamné, selon le paragraphe 58.2.8.11, non ! C’est le Bon Dieu qui m’a envoyé ici… – parce que je suis un berger des âmes, mais ça je ne pouvais pas le dire. J’aurais dû dire « je suis un ouvrier spécialisé dans l’âme… », bref. Mon devoir sera de réconforter mes codétenus. Parce que pour moi, c’était quand même plus facile : j’avais une préparation spirituelle et pas de femme, ni enfants. Mais ces jeunes gens qui ont dû abandonner leurs jeunes femmes et leurs petits enfants. Et l’Union Soviétique a réussi à nous transmettre, de main de maître, le sentiment que notre vie ne tenait qu’à un fil. Nous ne savions jamais à quel moment ils allaient nous tirer dans la nuque. Vous savez… ce n’est pas si simple et moi, j’avais une tâche et… ce n’est pas de la prétention ! Mais, vraiment, c’était l’intention du Bon Dieu. La preuve en est que je ne suis pas sorti en 1953 mais seulement en 1955… j’étais le dernier.