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L'école du Goulag

«Croyez-moi, c’était une telle école pour moi que les articles sur mon expérience publiés plus tard en Hongrie titraient que je ne regrettais pas mes 9 ans au goulag ! Car pendant ces 9 ans, j’ai rencontré tant de gens intéressants, j’ai entendu tant de choses intéressantes…  je n’aurais jamais pu les rencontrer autrement.
Imaginez qu’ il y avait encore parmi nous des prisonniers de l’époque de la guerre entre la Russie et le Japon, de la Révolution de 1917, de la famine ukrainienne… et aussi des purges de 1936-1938, de la décapitation de l’Armée… tout ce que le 20-21-22ème Congrès du PCUS ont dévoilé…
 Je cohabitais avec des témoins vivants de ces évènements qui osaient en parler avec des gens de confiance.
Donc, c’était une bonne école pour moi… J’ai vite appris le russe et je comprenais leurs conversations. Et comme j’étais inoffensif pour eux, ils en parlaient devant moi.
J’ai accumulé tellement d’informations que quand j’ai lu, plus tard, l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, j’ai reconnu plein de choses qui y sont décrites.
Je me suis beaucoup enrichi en survivant à ces 9 ans… en les vivants. En fait, j’ai essayé de créer un petit monde autour de moi, grâce à la littérature entre autres.
Mihaly Vörösmarty (poète hongrois) dit que « la rêverie détruit la vie car elle regarde vers des cieux troubles… » Vörösmarty n’a pas été au goulag !
Si on n’y rêvait pas, si on ne rêvassait pas, si on ne se projetait pas, si on n’avait pas d’espoirs, on aurait crevé.  On ne pouvait pas se plaindre, se dire « mon Dieu, que j’ai faim ! Mon Dieu, quels malheurs ! ».  Là-bas, il fallait s’élever au-dessus de soi même, se dépasser.
- Et les livres vous ont aidé à le faire?
Les livres… et la foi.»