European Memories
of the Gulag
Les ravages de la faim - La famine
Dans les mois qui suivent la déportation, la famille d’Anatolij subsiste grâce aux provisions emportées de Lituanie. Mais à l’hiver 1942, la situation se dégrade et tous les moyens sont bons pour assurer la survie de la famille:
« Ma petite soeur Rita a été prise en charge à l’internat de l’école, où les enfants en bas âge étaient nourris et logés. Nous aussi, il fallait bien qu’on mange, alors maman s’est mise à aller à l’écurie de plus en plus souvent. De temps en temps, on donnait aux chevaux quelques graines d’avoine. Elle a commencé à en rapporter, je me demandais d’où, puis elle les réduisait en farine et les faisait cuire. Ca lui a coûté cher… Quelqu’un l’a vue et pour une poignée d’avoine, elle a été arrêtée. Je ne l’ai plus jamais revue. Ils l’ont emmenée et elle est morte quelque part dans un camp. Je me suis retrouvé tout seul ».
Anatolij entame alors sa vie d’orphelin et passe par la terrible expérience de la famine qu’il dit avoir réellement vécu pendant près de six mois. Il essaie dans cette séquence d’expliquer ce que pouvait ressentir un enfant au dernier stade de la faim:
« On n’avait plus rien à manger. Je me souviens bien de certaines étapes. Je ne sais plus trop comment, j’avais sans doute troqué quelque chose contre une miche de pain noir, une miche tout entière! Je l’ai mangée et c’était comme si de rien n’était. Je l’avais mangée et pourtant j’en avais pas l’impression. Je l’avais découpée en tout petits morceaux sur la cuisinière et d’un coup, y’en a plus. Et là, tu peux pleurer toutes larmes de ton corps, c’est fini, y’a plus rien. Je m’en souviens encore. Et j’ai commencé à gonfler, ça commence par les jambes. C’était bien connu : quelqu’un qui commence à gonfler n’en a plus pour longtemps, après c’est le ventre qui gonfle. Et vous savez, on devient complètement indifférent de tout, on se transforme en zombi. Mais j’avais faim quand même, sauf que j’avais les jambes lourdes comme du plomb et je pouvais à peine les lever. Je m’en souviens encore. »