Біографії

Iser  ŠLIOMOVIČIUS


Iser Šliomovičius naît à Kaunas en 1937. Son père est commerçant et a monté sa petite entreprise de commerce des métaux. Il emploie deux jeunes apprentis.
Iser a 4 ans quand, en juin 1941, des officiers du NKVD arrivent chez eux, leur ordonnent de préparer leurs affaires et de les suivre. À la gare, ils sont séparés du père, condamné à 5 ans de travaux forcés pour  «exploitation de la main d’œuvre d’autrui».
Le voyage dure deux mois. Quand ils arrivent dans le sovkhoze n°51 près de la ville de Kamen, dans la région de l’Altaï, sa mère est assignée aux travaux agricoles.
Lui et son frère jumeau passent leurs journées dans la baraque. Les hivers sont longs et glacials et ils n’ont pas de vêtements et de chaussures suffisamment chauds.
En décembre 1945, son père, libéré du camp de travail près de l’Oural, les rejoint dans l’Altaï. Mais après cinq ans dans la forêt, à la coupe du bois, il devient invalide.
En 1953, au moment du choix des études supérieures, le stigmate du «déplacé spécial» va peser lourd sur Iser. Il aurait voulu étudier la littérature, mais il ne peut que s’inscrire à l’Institut mécanique de Tomsk, où il obtient son diplôme en 1958. Il ne rentre à Kaunas qu’en 1963. Là, il trouve un emploi comme constructeur de photocopieuses et il fait carrière, mais encore aujourd’hui il dit : «La chose qui m’a ruiné est qu’ils ne m’ont pas laissé étudier ce dont j’avais envie. […] Ils ont causé ma perte et maintenant je regrette tout ce temps qui est passé…»

L'entretien avec Iser Šliomovičius a été conduit en 2010 par Marta Craveri.

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Aller à l'école en déportation

«Nous vivions en face de l’école, mais le problème était que nous n’avions rien l’hiver pour sortir dans la rue. Il faisait froid et nous n’avions aucun vêtement chaud. Il nous était interdit de sortir dans la rue.Nous pouvions juste sortir dix minutes par jour dans la cour. Pour aller de la cour à la rue, il y avait une petite allée cachée. Quand quelqu’un l’empruntait, on ne le voyait pas, car la neige était plus haute que lui, c’est pour cela qu’ils avaient peur de nous laisser y aller, car si on tombait on ne nous aurait plus retrouvés. Alors, nous restions à la maison. Quand moi et mon frère nous devions aller à l’école, ma mère nous enveloppait dans une couverture et elle amenait d’abord l’un puis l’autre. Pour aller à l’école, il fallait monter une rue et quand il y avait beaucoup de neige c’était très difficile. Une fois ma sœur, qui avait 14 ans, a essayé, mais elle n’a pas réussi. Ma mère était très forte, et elle nous amenait. Après le nouvel an, nous avons enfin pu acheter des vêtements.»

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La pénurie alimentaire à Tomsk

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Déporté et étudiant à Tomsk.

«En Sibérie, personne ne savait que j’étais un “expulsé”, à l’institut personne ne le savait, je ne le disais à personne, je disais à tout le monde que j’étais un “évacué” […]. Mon meilleur ami Lavrov, par exemple, détestait les koulaks [les paysans déportés dans les années 1930], pour lui, c’était les ennemis les plus redoutables. C’est pour cela que je ne disais jamais rien. Personne ne le savait même à l’usine. J’ai même été invité à rejoindre le Parti !»

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L'héritage de la déportation

«Ce qui m’a ruiné est qu’ils ne m’ont pas laissé étudier ce dont j’avais envie. J’ai dû me débattre avec cette technique qui ne m’a jamais intéressé, bien que pendant des années j’ai été dirigeant. J’aurais été doué pour un travail créatif. Ils ont causé ma perte et maintenant je regrette tout ce temps passé et il me reste tellement de choses à lire.»

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Etudes universitaires pour un ancien déporté

«Nous avions terminé les cours à l’école, il fallait s’inscrire quelque part pour étudier, nous n'avions le droit d’aller qu’au chef-lieu du kraï, à Barnaoul. Nous n’avions pas le droit d’aller à Novossibirsk, seulement au chef-lieu du kraï. Là-bas il n’y avait que deux facultés, deux instituts : l’institut de pédagogie et l’institut d’agriculture. Et nous ne voulions bien sûr aller ni dans l’un ni dans l’autre. Et mon frère, il aimait tellement les mathématiques, il voulait absolument devenir mathématicien, mais moi, je ne voulais faire aucune des voies qui nous étaient permises. Je voulais aller en sciences humaines, je ne voulais pas aller à l’institut pédagogique. Mais nous ne pouvions aller nulle part… On nous refusait partout, donc mon frère s’est inscrit à la faculté de mathématiques… il pouvait s’y inscrire. Donc pour les mathématiques, il fallait qu’il aille à Tomsk, mais vu qu’il devait aller à Tomsk, nous y sommes allés ensemble parce que c’était encore plus difficile de nous garder un par un là-bas. Mais nous… nous les avons dupés parce que nous avions eu seize ans en mars, mais nous devions aller nous inscrire en juin, et nos passeports… si nous avions pris nos passeports là-bas, nous n’aurions pas eu le droit d’y aller. Mais si nous partions là-bas sans passeport alors on nous… on nous donnerait des passeports, et après pour rentrer à la maison pour les vacances, il nous fallait une autorisation, nous ne pouvions plus y aller, nous avions des passeports où il était marqué que nous n’avions pas le droit de sortir de notre village dans le kraï de l’Altaï, mais après avec mon frère, nous n’avons plus eu le droit de rentrer à la maison sans autorisation. Cela marchait comme ça là-bas. Donc voilà, et après j’ai eu des problèmes, nous sommes partis sans passeports, nous nous sommes inscrits, lui à l’université, et moi à l’institut polytechnique. Et là-bas, j’ai eu un problème, on ne pouvait pas obtenir la feuille d’examen sans avoir de passeport. Donc je suis resté là-bas plusieurs jours jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau secrétaire, il ne connaissait rien, donc il me l’a donné. Alors, je suis allé au bureau du doyen, « Où est votre passeport ? », j’ai dit : « Je n’en ai pas », « Alors faites en faire un », on ne m’a rien donné et on ne m’a pas laissé passer les examens. Mais après j’ai pu m’en sortir, et après mon frère s’est inscrit à l’université, je me suis inscrit à l’institut polytechnique mais à la faculté de mécanique. C’était la seule faculté sur treize où j’avais le droit de m’inscrire. Dans toutes les autres facultés, il y avait une commission des mandats. Dès lors qu’il y avait une commission des mandats quelque part, alors je n’avais rien à y faire, je ne pouvais pas y aller. Voilà, la seule faculté, c’était celle de mécanique, et je m’y suis inscrit, dans les autres je n’avais pas le droit de m’inscrire. (Interviewer : Pourquoi ?) Ce n’était pas possible, non, ce n’était pas possible, c’était impossible, mon frère aussi n’a pu s’inscrire qu’à la faculté de mécanique et de mathématiques. Cette faculté-ci, elle n’était… elle n’était pas pareille, ils n’y faisaient pas de vérifications. Là-bas, il y avait beaucoup de déportés. C’était pareil là où mon frère était. »