European Memories
of the Gulag
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Rimgaudas RUZGYS
Rimgaudas Ruzgys naît en 1937, dans la petite ville de Triškiai dans le nord de la Lituanie. Ses parents étaient des paysans aisés, ils possèdaient 35 hectares de terres. En mai 1948, les autorités soviétiques préparent la déportation des paysans pour accélérer la collectivisation et rompre le soutien qu’ils apportaient à la résistance armée. Ainsi, la famille Ruzgys est arrêtée et déportée en Bouriatie.
Après un an à l’école en Sibérie, Rimgaudas, à peine à 11 ans, commence à travailler dans une exploitation forestière, à des travaux très dangereux et épuisants. C’est seulement en 1960, après trois ans et demi de service militaire, que Rimgaunas rentre à Vilnius. Sa réinsertion n’est pas facile : « Personne ne voulait m’enregistrer en Lituanie. On me disait : “Retourne là-bas, d’où tu viens”. » Grâce à une connaissance, il réussit à se domicilier en Lituanie et commence à travailler comme chauffeur de bus.
Il reprend ses études, d’abord dans une école du soir, puis dans une école professionnelle et enfin dans un institut d’études supérieures. Pendant douze ans, il étudie le soir et travaille la journée : « Il y avait des jours où je n’avais pas le temps de dormir. » Cependant, il réussit ses études et fait carrière en devenant responsable du service de transport dans un syndicat. Actuellement, bien qu’il soit à la retraite, Rimgaudas continue à être en activité. Il travaille depuis plus de soixante ans…
L'entretien avec Rimgaudas Ruzgys a été conduit en 2009 par Jurgita Mačiulytė.
© Rimgaudas Ruzgys Une enfance heureuse : jeux dans la campagne natale.
© Rimgaudas Ruzgys Une enfance heureuse : jeux dans la campagne natale.
© Rimgaudas Ruzgyz La mère de Rimgaudas (à droite) avec sa propre sœur avant la déportation.
© Rimgaudas Ruzgys Rimgaudas Ruzgys (à droite) et son frère, devant leur maison natale, <br/> avant la déportation.
© Rimgaudas Ruzgys Diplôme de la classe de 4e (CM1), seule année d’école en déportation.
© Rimgaudas Ruzgyz Livret de travail, indiquant qu’il a commencé à travailler à l’âge de 11 ans, en 1948.
© Rimgaudas Ruzgys Rimgaudas faisant une pause, au travail.
© Rimgaudas Ruzgys Rimgaudas Ruzgys jouant de l’accordéon, en déportation.
© Rimgaudas Ruzgyz La famille Ruzgys à Novoïlinsk, sa dernière destination sibérienne, 1958.
© Rimgaudas Ruzgyz
Avant et pendant la déportation
La préparation au voyage
«A cet instant, les parents ont commencé à se préparer de façon très intense. Ils se sont débarrassés de tout ce qu’ils pouvaient, de tout ce qu’ils avaient de mieux. Ils ont, par exemple, apporté leurs abeilles et leurs meilleurs meubles aux voisins. Ils ont commencé à rassembler argent et nourriture. La mère s’est mise à faire du pain, à le sécher puis à le mettre dans des sacs. Elle a attaché aux enfants des cartes avec leurs prénoms et noms, pour qu’ils se retrouvent s’ils se perdaient. Elle a cousu dans les vêtements de chaque enfant une pièce de monnaie en or afin qu’ils puissent les utiliser pour vivre, si quelque chose leur arrivait.»
© R.Ruzgys Le départ : la Lituanie.
© M.Baltrušaitis De Lituanie en Bouriatie, le trajet fait en 1948.
© M.Baltrušaitis La destination : la Bouriatie.
© M.Baltrušaitis Plan du peuplement dans le district de Zaïgraievo, en Bouriatie (Sibérie).
© Rimgaudas Ruzgyz Le plan des lieux où est allé Rimgaudas, sur une carte contemporaine.
© Rimgaudas Ruzgys et Google Plan du village de Khoutor en Bouriatie (Sibérie), </br> à partir du dessin de R. Ruzgys. Ce village n’existe plus aujourd'hui.
© Rimgaudas Ruzgys et S.C. - UMR 5281 - ART-Dev - CNRS/2011 Plan du village de Moïgua en Bouriatie (Sibérie), </br> Ce village n'existe plus aujourd'hui.
© Rimgaudas Ruzgys Plan du village de Khara-Koutoul (à partir du dessin de R. Ruzgys).
© Rimgaudas Ruzgys et S.C. - UMR 5281 - ART-Dev - CNRS/2011 Plan du village de Khara-Koutoul (légende).
© Rimgaudas Ruzgys et S.C. - UMR 5281 - ART-Dev - CNRS/2011
Trajectoire spatiale de la famille Ruzgys
Au mois de mai 1948, la famille paysanne lituanienne Ruzgys est arrêtée près de Šiauliai et est déportée. Après deux semaines de voyage le convoi des déplacés arrive en Bouriatie en Sibérie orientale au sud-est du lac Baïkal. Par petits groupes, les déplacés sont installés dans des petits wagons sans toit du chemin de fer et répartis dans les différents villages. Le peuplement du territoire par les déplacés s’est fait par des chemins de fer à voie étroite qui allaient dans les vallées des montagnes de Iablonovy. La famille Ruzgys avec quinze autres familles est placée dans le petit hameau de Khoutor.
Avant que l’hiver sibérien hâtif n’arrive, les déplacés se hâtent de construire un nouveau village de baraquements, Moïgua, dans la taïga, en prolongeant le chemin de fer à voie étroite.
Cependant, le village n’existera que quelques années. Tout le bois de cette vallée fut coupé et il fallut construire un nouveau village dans une autre vallée où il y avait beaucoup de bois et donc du travail pour plusieurs années. La vie dans le village de Khara-Koutoul, peuplé en grande partie par des Lituaniens, était plus confortable : les logement plus spacieux, les équipements et services de premières nécessités présents.
Rimgaudas avait un grand avantage par rapport aux autres déplacés. Il était un homme libre parce que ses parents avaient réussi à modifier sa date de naissance en le rajeunissant d’un an. Mais cet avantage d’homme libre va se retourner contre lui. Alors que les déplacés n’étaient pas appelés à l’armée, Rimgaudas doit quitter le village pour faire son service militaire dans l’armée soviétique. Il est envoyé à Khabarovsk près de la frontière avec la Chine. La famille déménage dans le village de Novoïlinsk, dernière destination de la famille en Sibérie.
En 1960, après trois ans et demi de service militaire, Rimgaudas Ruzgys rentre en Lituanie et s’installe à Vilnius. Au début des années 1960 ses parents, son frère et sa sœur rentrent à leur tour en Lituanie et s’installent aussi à Vilnius, leur maison familiale ayant été occupée par d’autres personnes.
Trois villages de déplacés.
La 1ère journée dans le village de déplacés
«Ensuite, on est parti avec des chevaux, du chemin de fer à voie étroite jusqu’au village… Le village était environ à un demi-kilomètre, un kilomètre. Chacun a pris ses affaires. On nous a amenés dans une maison bâtie comme en Sibérie, en rondins, typique comme nous l’avons vu. Elle était divisée en quatre pièces : un couloir et quatre petites pièces. On nous a mis à cinq familles dans cette maison. La première nuit, on ne pouvait pas se coucher ni s’allonger, il n’y avait que les murs et rien d’autre. La maison avait uniquement des cloisons en planches pour séparer un peu. Nous nous sommes couchés tant bien que mal sur nos sacs et nous nous sommes fait attaquer par les punaises. Quand les punaises ont attaqué, on s’est levé et il y en avait partout : partout sur les bras, les insectes attaquaient partout et on ne savait pas où se mettre. Tout le monde avait faim après ce voyage, personne n’avait mangé chaud. Le lendemain, tous ont placé des pierres dehors, et ceux qui avaient des casseroles ou des seaux ont commencé à préparer quelque chose à manger, quelque chose de chaud. Ceux qui avaient quelque chose… il n’y avait aucun magasin. La première nuit, quand nous sommes entrés dans la maison, nous avons barricadé la porte d’entrée. Nous pensions qu’on ne sait jamais, qu’on avait amené des étrangers ; les gens locaux avaient des couteaux car ils leur avaient dit que c’était des bandits. Nous nous sommes enfermés, »
Trois villages de déplacés.
Construction du deuxième village
«Ce lieu s’appelait Moïga. Là-bas, comme d’habitude, ils avaient construit uniquement quelques baraques, mais il fallait héberger tout le monde. Donc, ils ont parqué trois ou quatre familles par pièce, autant qu’ils ont pu. Il y avait au centre de la pièce un tonneau avec des trous et une cheminée en sortait pour chauffer un peu à l’intérieur. L’entrée était sans vestibule, directement sur l’extérieur. Quand on a commencé à chauffer en hiver, il faisait environ -40°C dehors : un grand froid. A l’intérieur, les rondins étaient en bois vert, l’eau se condensait et coulait sur les murs ; des gouttes tombaient sur la tête. On n’avait pas de planches car il n’y avait aucune scierie. Il a donc fallu fabriquer le plancher en fendant les rondins. On a fendu les rondins en planches qu’on a utilisées pour fabriquer une sorte de plancher. Et la même chose pour le plafond : il fallait couvrir un peu et on a utilisé ce type de planches. On employait de grands pins, des rondins de 2-3 mètres de long, et sans branches car c’était plus simple à fendre. On a mis une couche de terre sur le plancher pour que ce soit plus chaud. Quand ils construisaient les baraques, ils ne faisaient pas de fondations. On construisait sur des souches ou des poteaux. A la place des fondations, on empilait sur 1 mètre de haut environ de la terre sur les côtés jusqu’aux fenêtres pour que le froid ne passe pas par dessous. Voilà comment s’est passé notre premier hiver.»
Trois villages de déplacés.
Construction du troisième village
«Ce village a existé peu de temps, seulement trois ans peut-être. On a coupé toute la forêt, ils ont peut-être mal calculé, ils n'avaient pas prévu que les Lituaniens étaient si travailleurs et qu'ils travailleraient si vite. Quand on a fini de couper la forêt, c'est devenu trop loin, ce chemin de fer à voie étroite atteignait les montagnes et ne pouvait aller plus loin. Il fallait se transférer dans une autre vallée, ils ont donc commencé à construire un nouveau village, dans un endroit où il y avait beaucoup de forêts. Ce n'était plus que pour quelques années...»
Le travail : construction du chemin de fer
«Le premier hiver, les gens ont coupé des rondins. En même temps que la construction d’un nouveau village et de baraques au milieu de la forêt, il fallait construire un chemin de fer à voie étroite. Les Lituaniens se sont mis à construire ce chemin de fer. Mais il fallait apporter les rondins depuis les montagnes jusqu’au chemin de fer. Les premières années, on a utilisé des bœufs, on n’avait pas de chevaux, mais les bœufs n’étaient pas nombreux non plus. Les Lituaniens tiraient donc les rondins à la main. C’était comme sur le tableau qu’on a vu une fois : “Les hâleurs de la Volga”.»
© Rimgaudas Ruzgys Une « fenêtre » vers le monde libre : Rimgaudas écoute illégalement Voice of America
© Rimgaudas Ruzgyz Un mariage dans un village de déplacés en Bouriatie en 1956
© Rimgaudas Ruzgys Un dimanche d’été en déportation
© Rimgaudas Ruzgys Le groupe théâtral du village de Khara-Koutoul en 1956. Rimgaudas Ruzgys et son frère (3ème et 1er à partir de la droite)
© Rimgaudas Ruzgys Un groupe théâtral dans un village de déplacés en 1956
© Rimgaudas Ruzgyz Jeunesse de déplacés en 1956
© Rimgaudas Ruzgyz La mère de Rimgaudas dans son lopin agricole en 1953
© Rimgaudas Ruzgyz
La vie dans un village de déplacés, après la mort de Staline
La vie après la mort de Staline
«Puis, après la mort de Staline, c’est devenu un peu mieux. Les jeunes Lituaniens ont commencé à acheter des vélos… Notre famille a acheté une petite moto K125. Nous sommes allés, j’étais encore adolescent, à Ulan-Ude, la capitale, à 150 km de là, pour acheter cette moto. Je suis revenu avec elle, sans avoir ni permis ni aucune expérience pour la conduire, à travers les champs et la forêt… nous avons acheté et ramené ces motos avec quatre ou cinq copains. Plus tard, quand nous avions 15-16 ans, après la mort de Staline, nous avons commencé à organiser des activités, danser des danses folkloriques, les filles ont fait des costumes nationaux. Chacun a fait ce qu’il pouvait, comme il pouvait. On préparait des spectacles dans notre village, car beaucoup de gens y habitaient depuis assez longtemps. Certains ont réussi à obtenir des instruments de musique, ils se sont mis à jouer, des petits orchestres se sont formés. Il y avait des personnes plus âgées et des plus jeunes, les uns avec des accordéons, les autres avec des violons, des percussions, des filles jouaient de la guitare. Nous nous rassemblions près des baraques en soirée et on dansait à même le sol. Nous avons même participé à une activité extérieure, une fête de la région, c’était une sortie. La vie a un peu changé.»