Mémoires Européennes
du Goulag
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Un monde de femmes ?
Nombreux sont les témoins qui se souviennent d’une arrivée dans les baraques en Sibérie, où ne vivaient que des femmes et leurs enfants. Ce monde de femmes revient fréquemment dans les récits, et souvent la seule figure masculine est le commandant qui vient, une fois par mois, pointer les diverses familles assignées à résidence dans un village. Les hommes, leurs pères, sont dans les camps, d’où certains reviendront, d’autres non. Certaines instructions de déportations prennent bien soin d’inclure des «Instructions de séparation de la famille du déporté de son chef».
Il est vrai que l'URSS d'après-guerre est un monde de femmes. La Seconde Guerre mondiale a en effet coûté à l'URSS 26 millions de vies, dont l'essentiel furent des hommes.
Il est vrai aussi que la répression la plus dure a surtout touché les hommes. Avant-guerre, plus de 90 % de la population des camps sont des hommes. Ils sont encore plus de 80 % après-guerre, même si certains camps de femmes existent, comme le fameux camp d'Aljir, au Kazakhstan.
Ce monde est de plus marqué par des relations de domination masculine qui mêle spécialisation au travail, domination politique et policière masculine, etc. Les commandants sont toujours des hommes. Les hommes disposent des métiers les plus qualifiés, alors que les femmes font plus office de main-d’œuvre non qualifiée.
Texte : Alain Blum
Un monde de femmes
Nombreux sont les témoins qui se souviennent d’une arrivée dans les baraques en Sibérie, où ne vivaient que des femmes et leurs enfants. Ce monde de femmes revient fréquemment dans les récits, et souvent la seule figure masculine est le commandant qui vient, une fois par mois, pointer les diverses familles assignées à résidence dans un village. Les hommes, leurs pères, sont dans les camps, d’où certains reviendront, d’autres non.
Certaines instructions de déportation prennent bien soin d’inclure des «Instructions de séparation de la famille du déporté de son chef». L’homme est considéré comme plus dangereux que la femme et la ségrégation provoquée au goulag est en général très grande.
Il est vrai aussi que la répression la plus dure a surtout touché les hommes. Avant guerre, plus de 90 % de la population des camps sont des hommes. Ils sont encore plus de 80 % après guerre, même si certains camps de femmes existent, comme le fameux camp d'Aljir, au Kazakhstan. Plusieurs instructions d’avant-guerre sont explicitement tournées vers les femmes de déportés, d’ennemis du peuple. Ces instructions mettent en valeur la très forte ségrégation qui domine la répression, non seulement dans les actes mais aussi dans les représentations des autorités répressives.
Cependant, à la féminité du monde de la relégation, se rajoute la féminité particulièrement élevée du monde soviétique de l’après-Seconde Guerre mondiale. L’URSS des années du «second stalinisme» est un monde que la violence du conflit mondial a fortement féminisé, la guerre ayant coûté 26 millions de victimes soviétiques, dont l’essentiel furent des hommes. Les générations adultes, qui ont participé aux combats, sont marquées par un déséquilibre des sexes particulièrement fort.
Statistiques
Les statistiques générales dont on dispose, après la Seconde Guerre mondiale, sur le monde de la relégation, semblent contredire les témoignages que nous avons recueillis. Le 1er juillet 1952, sont décomptés un peu moins de 800 000 hommes, un peu plus d’1 million de femmes, et un peu moins de 900 000 enfants, soit 44% d’hommes parmi les adultes. L’impression des témoins est-elle inexacte ? Ne proposent-ils que la vision du monde soviétique d’après-guerre, et non du monde de la relégation ? Il faut en fait aller plus dans le détail pour conforter leurs témoignages, car plusieurs facteurs expliquent qu’un recensement général des déplacés spéciaux ne fournisse pas la même image que celle proposée par nos témoins. Ces recensements incluent en effet, pour partie, les paysans déportés entre 1929 et 1932, qui le furent sans que soient séparés les hommes des femmes et des enfants. Il en fut de même durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les «peuples punis» furent déportés. Les Allemands de la Volga, Tchétchènes, Ingouches, Grecs, etc. sont emportés en famille, vers les terres d’Asie centrale. Ce sont, en revanche, surtout après-guerre que furent séparés, dans les territoires annexés, les hommes du reste de leur famille, lorsqu’ils étaient soupçonnés de lutter contre le pouvoir soviétique.
Domination masculine
La ségrégation débute dès l’arrestation. Elle se prolonge, différemment, sur les territoires de la déportation, car ce monde est plus sensible encore aux relations de domination masculine qui caractérisent la société soviétique d’après-guerre. Cette domination mêle spécialisation au travail, domination politique et policière, etc. Les commandants sont toujours des hommes. La mécanisation est aisément associée à la figure masculine, quand le travail non qualifié et répétitif fait appel aux femmes. En URSS, les migrations spontanées de travailleurs ne suivent pas les schémas qu’on observe alors en Europe occidentale. Cette dernière a fait largement appel à la main-d’œuvre immigrée de l’étranger pour pallier le déficit d’une main-d’œuvre non qualifiée. En URSS, il n’y a pas eu de tels mouvements migratoires, ni même, dans les années 1970, de mouvement en provenance des Républiques méridionales de l’URSS (Asie centrale), que les autorités perçoivent après la Seconde Guerre mondiale comme réservoir potentiel de main-d’œuvre. Les femmes sont alors souvent là pour pallier cette absence.
© Valli Arrak La jeunesse d'un kolkhoze
© Valli Arrak Dessin de « costumes sibériens », d'amies de Valli Arrak, réalisé par celle-ci le 23/11/1952
© Valli Arrak Une brigade de filles au travail
© Rimgaudas Ruzgyz Une brigade féminine à la construction du chemin de fer
© Rimgaudas Ruzgyz Une brigade de travail à la coupe de bois
© Rimgaudas Ruzgyz Femmes au travail
© Rimgaudas Ruzgyz Femmes au travail
© Rimgaudas Ruzgyz Un anniversaire
© Rimgaudas Ruzgyz La mère d'Anatanas Kybartas au sein d'un groupe de femmes
© Anatanas Kybartas Déportés d'un même wagon. Anatanas Kybartas est le plus petit.
© Anatanas Kybartas L'enterrement de la soeur de Danuta Wojciechowska au Kazakhstan
© Danuta Wojciechowska Fête dans un village de relégation
© Irina Tarnavska Dans un village de relégation
© Irina Tarnavska Lituaniennes à Kaltouk, années 1950
© Larissa Salakhova
© Alexandra Fotieva
© Alexandra Fotieva
Femmes en déportation
Ces photos n’ont pas toutes pour ambition de démontrer la très forte présence de femmes en relégation. Certaines, en effet, sont plutôt l’expression d’une forte ségrégation : les brigades de travail pouvaient être ainsi organisées, en séparant hommes et femmes. La sociabilité était aussi souvent fondée sur un regroupement des filles entre elles et des garçons entre eux.
Parfois, en revanche, les photos montrent très clairement la forte présence féminine.
Quoi qu’il en soit, elles expriment une certaine atmosphère, dans laquelle la question du genre est essentielle.
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Okupacijų ir laisvės kovų muziejus (Vilnius)
© Neizer © Rimgaudas Ruzgys
© Rimgaudas Ruzgys
© Rimgaudas Ruzgys
© Anatolij Smilingis
© Zvirblis
© Zvirblis
© Zvirblis
© Valli Arrak
© Valli Arrak
© Berezutskaja © Joggias © Kybartas
Femmes au travail
De très nombreuses photos, prises au travail, montrent des groupes de femmes, parfois quelques hommes avec elles, suggérant ainsi que ce monde de la déportation était souvent très féminin. On ne peut cependant exclure que, parfois, les brigades de travail étaient organisées de façon à séparer hommes et femmes.
Quoi qu'il en soit, ces photos montrent que les femmes étaient occupées à de très nombreux travaux de force, traditionnellement, en cette époque, tenus par des hommes.