Solidarité Ukraine
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BioGraphie

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Vladimir  SIDERSKI


Vladimir Siderski naît en 1926. Il est fils d’un acteur de la Révolution ayant eu de hautes fonctions politiques et administratives en Ukraine, fusillé en 1937. Il devient donc fils d’un ennemi du peuple. Il voit le début de la guerre à Kiev et est évacué en Sibérie, puis à Tomsk et à Moscou. Il part en Sibérie sans sa mère, puisque celle-ci est femme d’un ennemi du peuple et, en tant qu’«amie avec les Allemands», elle n’a pas le droit de quitter la ville. Elle y décède du typhus.

En avril 1945, il met en doute les répressions staliniennes, il est alors arrêté et condamné au camp. Il est envoyé à Rybinsk, puis à Petchora où il passe plusieurs années. Il estime «avoir eu de la chance», car à partir d’un certain moment, il a bénéficié de conditions de vie privilégiées par rapport aux autres prisonniers.

Il retourne en Ukraine à sa libération, en 1951, mais il reste interdit de séjour à Kiev, dans les grandes villes d’Ukraine et dans les zones frontières. Il trouve un travail à Chernigov, bien que son passé transparaisse parfois. Il revient ensuite à Kiev et participe aujourd’hui à la commission de réhabilitation des répressions.

L'entretien avec Vladimir Siderski a été conduit en 2009 par Alain Blum.

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L'arrestation du père (VO - russe)

«Si quelqu’un est arrêté, quelle qu’en soit la raison, politique ou criminelle, il y a une perquisition. Quand on a arrêté mon père, ça s’est passé dans la rue. Il avait été présenté comme candidat au Soviet suprême d’URSS. C’était en 1937, après la constitution de Staline. Les premières élections au Soviet suprême ont été faites le 19 décembre et mon père est allé rencontré ses électeurs. A l’époque, il n’y avait en général qu’un seul candidat. Il a été là-bas, je l’ai accompagné avec son assistant à la gare.

Deux ou trois jours ont passé, (je ne l’ai su que plus tard, c’est maman qui me l’a dit), on lui a téléphoné du comité de district du parti en lui disant de rentrer, on lui a même envoyé une voiture et on lui a présenté un télégramme de Kossior : “Retirez votre candidature en trouvant une raison quelconque et rentrez immédiatement à Kiev.” Il est rentré à la maison, s’est rasé, et est allé au travail. Quand il est sorti de sa voiture près du ministère de l’Agriculture, on l’attendait et on lui a demandé de monter dans une autre voiture. [silence] 

J’étudiais alors à l’école. Je suis rentré à la maison, ma mère a ouvert la porte et m’a dit : “Vovka, soit calme, on a une perquisition.” [silence] 

La perquisition s’est déroulée. Ils regardaient tout ; cela ne se passe pas comme certains le racontent, où on met tout sens dessus dessous. Rien de tout cela. Là tout s’est passé correctement, euh, normalement. Ils ont regardé, bien sûr au début, ils ont demandé où étaient les armes. Mon père avait deux pistolets, de la guerre civile, ou peut-être pas, je ne sais pas précisément, donc d’abord les armes, c’est tout à fait naturel, voilà. Puis, ils ont rassemblé toutes les affaires de mon père. On vivait dans une maison où tout appartenait à l’Etat.

Mon père était de taille moyenne, et moi j’avais alors à peu près la même taille… et ma mère s’est adressée au commandant de la perquisition et a demandé : “Mon fils peut-il garder quelques affaires de son père ? – Je vous en prie, prenez ce qui vous semble nécessaire.” Elle a pris un manteau de cuir, que j’ai ensuite porté à l’institut, des chaussures, deux ou trois cravates. On avait une bibliothèque, environ trois mille livres, ma mère a demandé si elle pouvait garder de la littérature, “Je vous en prie, prenez.” Elle a pris les six tomes de Pouchkine édités par l'Académie des sciences à l'occasion du centenaire de son décès. Je l’ai conservé, car il y avait la signature de mon père. Voilà, comment s’est passée la perquisition. Il y avait aussi un homme, de cette brigade, qui avait mis quelque chose dans sa poche, son chef l’a chassé et lui a dit : “On réglera nos comptes.”

Je sais en revanche que dans certaines maisons il y avait vraiment des vols et que tout était sens dessus dessous. C’était alors un cauchemar. »