Mémoires Européennes
du Goulag
ThémaTique
Correspondre
La déportation, le séjour en exil, ne conduit pas à rompre les liens avec ses proches, qui ont échappé à l’arrachement. Les lettres circulent de Lituanie en Sibérie, entre parents, parfois entre proches, lettres fortement surveillées par le contrôle postal, qui porte une attention toute particulière à celles qui vont ainsi des régions occidentales vers les «territoires lointains» qui sont lieux de déportation. S’instaurent aussi des correspondances triangulaires, joignant ceux qui sont restés, ceux qui sont en exil dans quelques villages éloignés, et ceux qui, de la même famille, ont été enfermés dans un camp du Goulag. Si les règles de correspondances sont strictes dans le camp, elles ne semblent pas être particulières dans les villages d'exil. Ceux qui ont vécu cette longue histoire ont, parfois, conservé des liasses de lettres, témoignages précieux d'une relation qui ne s'est pas interrompue malgré la distance. On trouve aussi trace de ces correspondances dans les rapports du contrôle postal, où figurent de nombreux extraits des lettres interceptées. Enfin, certaines lettres complètes, jamais arrivées au destinataires, sont conservées dans le dossier constitué par les organes répressifs sur la famille déportée. Ainsi, témoignages, rapport de la police politique sur le contrôle postal ou lettres placées dans les dossiers personnels constitués par la police, recueil de lettres conservés au sein des familles ou déposés dans diverses archives, offrent autant de sources pour apprécier la richesse des relations que chacun tente de préserver dans les conditions souvent extrêmes de la déportation.
Emilia Koustova
Les premières nouvelles
Cette lettre est probablement envoyée d'Ukraine en Sibérie, par un membre de la famille de Piotr, le père d'Elena Petrovna, déportée en Sibérie avec sa mère, et qui maintient une correspondance triangulaire entre l'Ukraine, le territoire des camps où est emprisonné son père et le territoire d'exil où elle vit avec sa mère.
Типер хочим з тобою i Еленою подiлитися Родiсною вiсткою ми на 27 Вересня начесного Хрста дiстали лист вiд Петра пиши що здоровий но як вiн пише житя его несприятливе де девiн пiсацïв не видно сонця тiлько морози i нiч. Али Бог крiпить на его шо ще зобачим ся. А ще гiрш мучить его про вас i про ваше з Еленою житя i здоровья пиши ще (вiн) писав пару листiв але вiдповiдiй небуло. Натiм Кiнчу тiх пару слiв Поздоровляем Вас обох Елено Бувайте здоровi з Богом до милого зобаченя прочли вiд (...) адрес до Петра Такий
Красноярский Край
Посьолок Норильск. Л.К. П./а. 224. (...)
Maintenant nous souhaitons partager avec toi et Elena une heureuse nouvelle. Le 27 septembre, pour l’Exaltation de la Sainte-Croix, nous avons reçu une lettre de Piotr. Il écrit qu’il est en bonne santé mais, d’après ce qu’il décrit, sa vie n’est pas des plus agréables. Là où il est, on ne voit pas le soleil, juste le froid et la nuit. Mais Dieu le garde, nous nous verrons encore. Et plus encore, il s’inquiète pour vous : comment allez-vous, votre santé et celle d’Elena. Il écrit qu’il a envoyé quelques lettres mais qu’il n’a pas eu de réponse. Sur ces paroles je conclus en quelques mots. Nous vous saluons toutes les deux, Elena soyez en bonne santé, Dieu soit avec vous, au plaisir de nous rencontrer. Nous avons lu sur/de (…) voici l’adresse de Piotr
Kraï de Krasnoïarsk
Village de Norilsk. L.K. P./a. 224. (…)
Transcription et traduction: Anastasia Gorelik
Correspondance amoureuse d'un camp à l'autre
Vanda Valiutė évoque la correspondance qu'elle entretint durant plusieurs années avec un homme, détenu d'abord dans un camp voisin, puis transféré dans un camp de la région de Magadan. Elle l'a connu lors des déplacements en colonne, sous escorte, dans le Steplag.
Lettre de Norilsk - «C'est au destin que je dois obéir»
Le père d'Elena Petrovna écrit à sa famille. Lui a été envoyé dans un camp du Goulag, à Norilsk, son épouse et sa fille sont déportées dans la région d'Irkoutsk.
Норильск 7/XI.50. р.
Привiт Дорогi Родинi.
Дорогi Брати, Братови, i Сестри, i уся моя Родина приймiть вiд мене щире Братске поздоровлення. Желаю Вам в день Вашего Празника, Щастя здоровия многая лiт (...) на нове свiтле щасливе житя якого Вам бажаю з цiлого серца i пиридайте i поздоровiть вiд Мене усiх в Родинi Моï, Дорогий Брати i Ти Братова повідомляю Вас освоïм здоровлю i життю. Я Богу дякую Всевишньому здоровий якого Вам рiвнож Бажаю а життя моє Мож(е) i не вдоволяюче но щож... судьба моя якi Мусиш повелiватися хотяж сказано шо людина творець щастя Свого що тодi пiзнаешь як втратиш його. Судьба судьба не тiльки моя ... Вона карае i немилуе ревнуе
...і витрiбовує. Не раз с погадаю життя своє молодє Мав я Родителiв Отца Матiр но сам я немічний безталанний вдiяти немiг рвавсi то туди то сюди шукаючи долi так щоби своï судьби но безпомочi безбаронний був, i так щастя якого кажуть творець його нинайшов його а навпаки. Я нитолiюсь i нинарiкаю на судбу свою а вiрю хотя вона Жорстко Карає но i Милує.
Дорогий Брати i Ти Братова ни Жалiйтесь i на мени Можи в життю всiляко проходило, но згадую Вас часто Братово Мовби Ви Менi другою Мамою були,
Дорогий Брати i Ти Братово я написав довас кiльки листiв так i до брата Дмитра до Ганi. до Маринi. i Много iньших а вiдповiдi нимаю вiд нiкого ни знаю Чому Знаете Як тяжко пиреживати незнаючи про Родиння життя i Eï положиння.
…де знаходиться Мiй Улюблений Синочок Модуci (… ) прохаю Вас пиридайте Адресу Мою хай на пишуть до Мене хто Жив здоров Iте хто знаходиться.
Дорогий Брати i Братово i кiнчу тих кiлька слiв здоровлю Вас Счасним здоровлюм Бажаю Вам Многоя Лiт. i поздоровiть Вiд Мене Брата Дмитра Братову Ганку Мариню ж Еï, Бабусю, Ганю з мужом Еï Николаюом в день Iменин Його щастя здоровья i дiтюм Його здоровля Стасia Маринi з Мужом Михайлом та ïх Будучою родiйою, Модуся Сина дорогого Донечку Елену Жену Марiю. Пиредайте ïм Мiй Пляменний Горячий Привiт, усiй Родинi Cyciдам ознакомим
Стискаючи Вашi Руки Зоставайте здоровi,
Norilsk 7/XI. 1950.
Salut, Chère Famille,
Chers frères, belles-sœurs, sœurs et toute ma famille, recevez de ma part de généreuses salutations fraternelles. Je vous souhaite de tout mon cœur pour votre fête bonheur, santé et de nombreuses années dans cette nouvelle, lumineuse et heureuse vie; transmettez-le, et saluez tous mes proches de ma part. Cher frère et toi, ma belle-sœur, je vous informe de ma santé et de ma vie. Dieu merci, je suis en bonne santé, ce que je vous souhaite aussi, et même si je ne suis pas content de ma vie, c’est au destin que je dois obéir, bien qu’il ait été dit que l’Homme est le créateur de son bonheur, et qu'on ne s'en aperçoit que lorsqu'on le perds. Le destin, et pas seulement mon destin… punit et ne pardonne pas, il est jaloux
… et exigeant. Je me rappelle souvent de ma jeunesse. J’avais des parents : mon père, ma mère. Mais moi-même j’étais faible, médiocre et n'étais capable de rien ; je me dispersais, par-ci, par-là, en cherchant mon chemin, pour trouver mon destin. Mais sans soutien, j’étais vulnérable et bien qu’on dise que l’Homme est le créateur de son bonheur, je ne l’ai pas trouvé, bien au contraire. Je ne me plains pas et je ne me lamente pas sur mon sort, j’ai la foi; si le destin punit sévèrement, il gracie également.
Cher frère et toi, ma belle-sœur, ne vous fâchez pas contre moi, quoi qu'il ait pu arriver dans la vie, je pense souvent à vous. Ma belle-sœur, vous étiez pour moi comme une deuxième maman.
Cher frère et toi, ma belle-sœur, je vous ai écrit quelques lettres, ainsi qu'à mon frère Dmitri, à Hania, à Marina et à beaucoup d’autres, mais je n’ai reçu aucune réponse, je ne sais pas pourquoi. Savez-vous à quel point il est difficile de vivre sans connaître ce que deviennent ses proches?
…où se trouve mon fils Modest bien aimé (…) je vous en supplie, transmettez mon adresse, pour qu’on m’écrive qui est vivant, bien portant et où chacun se trouve.
Chers frère et belle-sœur, je conclus par ces quelques mots, je vous souhaite bonheur et santé, une longue vie et saluez de ma part mon frère Dmitri, ma belle-sœur Hania et sa Marina, ma grand-mère, Hania et son mari Nikolaï. Pour le jour de sa fête, bonheur, santé, de même pour ses enfants. Je salue Stas, Marina et son mari Mikhaïl, et ses futurs proches, mon cher fils Modest, ma fillette Elena et mon épouse Maria. Transmettez mes salutations ardentes et chaleureuses à toute la famille, aux voisins, à mes connaissances.
Je serre vos mains. Soyez en bonne santé,
Transcription et traduction: Anastasia Gorelik
© David Jozefovič Recto de deux enveloppes envoyées au cap Bykov du front, passée par la censure militaire
© David Jozefovič Recto d'une enveloppe envoyée au cap Bykov, via le bureau central d'information de Tchkalov (Orenbourg)
© David Jozefovič Recto d'une enveloppe envoyée du front, où est citée la phrase de Staline ("Nous pouvons et devons nettoyer la terre soviétique de la saleté hitlérienne")
© David Jozefovič Verso de la lettre précédente, envoyée du front, et écrite en yiddish
© David Jozefovič Recto d'une lettre envoyée du front, où figure sur l'enveloppe la phrase "Mais comment ne pas s'ennorgueillir: deux tirs, deux Fritz"
© David Jozefovič Verso de la lettre, datée du 6 avril 1944
© David Jozefovič
Une correspondance entre le front et le bout du monde
David Jozefovič, déporté dans l'Altaï en 1941, puis au bord de l'océan Arctique, sur les rives de la mer de Laptev, reçoit malgré tout des lettres du front, où ont été envoyés des proches. Certaines lui sont envoyées directement, d'autres passent par le bureau central d'information du NKVD, situé à Tchkalov (aujourd'hui Orenbourg). Ce bureau a été crée en mars 1942, dans la ville de Buguruslan, qui traitait les lettres envoyées par des personnes à la recherche d'un ou d'une proche. Le bureau recevait jusqu'à 20000 lettres par jour.
Des villages face à la déportation
Les lettres interceptées par le contrôle postal conduisent à la rédaction de rapports sur divers thèmes. Ces derniers permettent "d'entendre" la voix de ceux qui font face à la violence de la déportation. Les extraits de lettres, reproduits dans un rapport écrit par le département du ministère de l'Intérieur d'Ukraine de la région de Drogobyč, évoquent l'atmosphère de crainte et d'incertitude en ce début de l'année 1949, alors que se préparent une grande vague de déportation, mais que déjà nombreux sont les paysans exilés.
Chaque extrait de lettre interceptée est précédée par le nom du destinataire et son adresse, cette dernière montrant qu'il s'agit toujours d'un lieu d'exil, où ont été probablement précédemment déportés des proches de l'auteur de la correspondance, puis suivi du nom et de l'adresse de l'expéditeur.
Source: SBU (Archive de la police politique), fonds 2, inventaire 42(1953), dossier 8, ff. 120-123.
- Žguta D.P, Région de Molotov, ville de B. Gubah, mine du 1er mai, baraquement n° 14, appartement 4,.
« Six camions militaires sont venues le 1er jour de noël dans notre village. Les uns ont encerclé l’église, d’autres sont allés au village et a commencé la déportation. Ils ont pris Petr Dmitruk, Gnat, Andrej Tančuk, Dmitrij et Efrem Petuh, Vasilij Petuh, Grigorij Pûh et Danil Kravčuk. Ils ont voulu emporter Vasilij Blažkevič, qui n’a pas de jambe, mais sa femme n’était pas chez elle, elle s’était sauvée de l’église en sautant par-dessus la clôture, et s’est cachée. On l’a laissé. »
Melan’â, village de Volâ-Âkubova, district de Drogobyč, région de Drogobyč
- Région de Molotov, B.-Gubaha, 26 rue du 1er mai, appt 8, ÂCKIV I.O.
"...A Noël à la mi-journée nous avons eu une déportation. On a déporté la femme de Kok Pucij§ Nikolaj Prulev, Mihail Gav rilov, la femme et la fille d’Alksej Moskal’. Je crains de sortir dans la rue. Les nuages s’amoncèlent dans le ciel et le printemps sera probablement la fin de nos souffrances…"
Région de Drogobyč, district de Mediničsk, village de Lityn’, ÂCKIV M.I.
- Région de Molotov, B.-Gubaha, 93/14 rue du 1er mai, PETRIK Â.I.
« Nous avons eu une déportation. On a déporté Kuzma Komar, Mihail, Ol’ga Sovâkova et Bleznâkova Tasâ avec sa famille. Ils ne voulaient pas prendre Andrej, mais lui-même n’est pas resté, en disant « je serai là ou sera ma famille ». Ekaterina Finčina est partie, et Tasâ Gukova a pris son enfant, la fille d’Ol’ga Sovâkovaâ s’est sauvée. On a aussi pris la vieille Klopajka avec Mil’kaâ et Valsilij et beaucoup d’autres.
Région de Drogobyč, district de Drogobyč, village de Lužok Dolišnij, FEDORIČKA A.
- Région d’Arhangel’sk, district de Rovdinskij, village Podgornij № 4, PISARSKAÂ Û.
«... Nous avons une triste nouvelle. La sainte soirée de Noël ils ont emporté des gens des districts de Strijsk et Dublânskij. Ils les ont tous amené à Strij, dans une même maison. On leur a interdit de prendre quoi que ce soit avec eux, car il n’y avait pas de wagon à Drogobyč, on emporte en camion les gens à Strij, de Strij jusqu’à L’vov, et de là en Sibérie.
Cela nous brise le cœur de penser que la même chose nous attend. Quand donc en aura-t-on fini avec ces horreurs ? On ne fait qu’une seule chose, tendre l’oreille pour savoir s’ils ne viennent pas nous chercher ?...»
Ville de Drogobyč, 6 rue de la Révolution, POPIVNÂ E.M.
- Région de Molotov, B.-Gubaha, 93/10 rue du 1er mai, M.I. LIPAK
”...La veille de noël dans les villages de Volâ Lobov, Bylin le même vent a soufflé, qui t’a emporté. Grande tristesse et malheur dans les villages. Ils déportent les gens, et les enfants qui restent vont vagabonder. Tu ne sais pas ce qui t’attends, et quand la mort va venir. Mais, tant pis, nous vivons dans l’attente de la noce entre Anton (l’Angleterre) et Ruzskaâ (l’URSS), qui approchent..."
District de Drogobyč, région de Drogobyč, village de Snâtinka, DUMANSKIJ O.I.
- Région de l’Amur, district de Mazanovskij, mine de mai, rue Glubokij, BOBÂK N.V.
"...Les fêtes de Noël ont été bien tristes et terribles, car on a emporté des gens, à qui ont aurait quelque chose à reprocher. Avant même les fêtes du district de Strij, et durant les fêtes de celui de Drogobyč. On n’en a pas encore pris des autres districts, mais on attend que cela arrive d’un jour à l’autre. Les gens ont très peur, car on ne sait pas sur qui va tomber le sort. Chacun espère que peut-être le printemps sera-t-il beau ".
Région de Drogobyč, district de Drogobyč, village de Truskavec, BOBÂK Z.
- Région de Kemerovo, ville de Prokop’evsk, KUSÂK E.
"...On a connu une déportation chez nous. La veille de noël, la nuit, dans le village de Šemeroviči on a emporté quelques familles du village de Kupnoviči-17. Le vieux Nikolaj Kružniskij s’est sauvé. C’est si terrible ici maintenant, qu’on a dû mal a dormir...”
Région de Drogobyč, district de Sudovo-Višnânskij, village de Makunev, P.T. BUÂR
- Région de Kemerovo, Sovkhoze d’Ižmorskij № 4,
"...Il y a eu une grande déportation chez nous. On a emporté 6 familles de notre village. Ils ont pris Stepan Sukickij et toute sa famille, mais Ivan est resté. Ils ont aussi pris Vasilik Til’siskij. Ils vont encore en prendre d’autres. Ils vont prendre la moitié cette année. Les fêtes ont été tristes et le seront encore plus..."
Région de Drogobyč, district de Sudovo-Višnânskij, village de Šemeroviči, O.D. ANTOŜАK
- Ville de L’vov, rue du 17 septembre, 3ème école de préparation aux cadres dirigeants des kolkhozes, D.S. BRILOVSKIJ
"...A noël, de Volâ Âkubova ils ont déporté 10 familles et quelques familles d’autres villages. Ils ont pris des femmes dont les maris sont condamnés. Ils les ont emporté à Stryj. Ils n’ont encore pris personne des villages proches du notre..."
Région de Drogobyč, village de Staroe, M.V. BRILOVSKAÂ
Lettre de Norilsk - «Mais finalement ils m'ont laissé ici, dans ce lieu maudit »
Une autre lettre envoyée à la famille d'Elena Petrovna par son père, de Norilsk.
Норильск дня 8/1 1951 .
Норильск дня 8/1 1951 .
Привiт, i Сердечне поздоровлення Дорогi Женi, Марусi, i Дорогенькi Доченцi, Еленочцi , Витаю Вас i бажаю Вам доброго здоровя щастя довгих лiт доброго веселого Життя, Дорога Марусю i Ти Дорогенька Моя Донечко Еленицю повiдомляю Вас О своiм здоровлю i пережиттю, й Богу дякувати Потроха здоровий, но кращого здоровля Вам бажаю. А життя Мое то що дякую Всемогущому що ще ж Жив, а далi незнаю дуже трудно сумне життя в положеннцiм, но Вiру i надiюсь на Всемущчого Бога, що Вiн не о пустить нас. Дорога Марусю i Ти Дорогенька Донечко Еленцю, Я Вас повiдомляв i Мав надiю що я звiти...
…виïду так що думав хоть й нiмношко подишу Материнським Воздухом. дожидалось i здня на день, i нарештi на дальше Оставили Тут, на тому лежму мiстi. так що негнiвайтеся що я не писав до Вас через той час я тоже не получав тiльки що тих два письма вiд Вас, з 13 мая, а (24, 21, 27 ?) мая i одно получив вiд 10р Д-ня в серпнi так що дужите Менi скучаю що незнаю що зiсталося з Родиною.
Марусю i ти Еленуцю, наколи Одержите то письмо на пишiть до Мене О пишiть про свое житя здоровля чи Модю пише до Вас, бо до Мене що то нехочи всюго написав 2 письма незнаю чому я рiжно думаю i про його i про сучасне життя.
i Вас не забуваю i живу тою надiью що буде знеможливого можливе що Всевишнiй нас ...
…тiю ласкою i поможе нам спрiнутись як вiльнi на волi, i на цьому свiтi, Дорога Марусю i Ти Доронька моя Еленцю, Простiть що так мало пишу Вам як Одержу вiд Вас листа то напишу Вам Много i О пишу Вам про все.
(…) зара (з) кiнчаю тих кiлька слiв до Вас Моï Дорогенкi, прощаюся з Вами цiлую Вас стискаю Вашi ручки зоставайте здоровi повсяк день Вашого Життя,
Поздоровiть вiд Мене дорогого Синуся Модеста передайте йому Моï ä cерця горячi побажання i рiвноок усi Родинi.
Писав ваш Вам Рiдний Петро
Norilsk le 8 janvier 1951
Bonjour et mes salutations cordiales à ma chère épouse Maria et ma chère fillette Elena. Je vous salue et je vous souhaite une bonne santé, longue et heureuse vie. Chère Maria et toi ma chère fillette Elena, je vous informe sur ma santé et sur mon vécu : grâce à Dieu, je suis à peu près en bonne santé, mais c’est à vous que je souhaite meilleure santé. Ma vie est telle que je remercie Dieu tout puissant d’être encore vivant; ensuite, je ne sais pas. Dans ma situation, la vie est extrêmement difficile et triste, mais j’ai la foi et j’espère que Dieu tout-puissant ne nous abandonnera pas. Chère Maroussia et toi ma chère fillette Elena, je vous ai informé et j’avais espoir que j’allais bientôt...
…sortir, donc j’ai pensé que je prendrais un peu d’air libre. J’ai attendu cela jour après jour, mais finalement ils m’ont laissé ici, dans ce lieu maudit. Alors ne vous fâchez pas contre moi si je ne vous ai pas écrit, moi aussi je n’ai reçu de votre part que deux lettres : celle du 13 mai, du (21, 24, 27 ?) mai et une que j’ai reçue le 10 août, donc vous me manquez beaucoup et je ne sais pas ce que deviennent mes proches.
Maria et toi, Elena, quand vous recevrez cette lettre, répondez-moi : décrivez votre vie, Modest est-il en bonne santé, vous écrit-il? J'ai l'impression qu'il ne veut pas m'écrire. Il m’a envoyé seulement deux lettres, je ne sais pas pourquoi, j'imagine diverses raisons qui tiennent à lui et à la vie.
Et vous, je ne vous oublie pas et je vis avec cet espoir que l’impossible deviendra possible, que Dieu…
… (avec) sa grâce nous aidera à nous retrouver comme des êtres libres et dans ce monde. Chère Maroussia et toi, ma chère Elena, excusez-moi si je vous écris si peu. Quand je recevrai une réponse de vous, je vous écrirai et je vous décrirai tout.
…maintenant je conclus sur ces quelques mots, mes chères, je vous salue, j’embrasse et je serre vos petites mains, soyez en bonne santé chaque jour de votre vie.
Saluez de ma part mon cher fiston Modest, transmettez-lui mes salutations cordiales et chaleureuses, ainsi qu'à toute la famille.
Votre cher Piotr
Transcription et traduction: Anastasia Gorelik
David Jozefovitch reçoit une lettre du front
David Jozefovitch reçoit, alors qu'il est déporté sur les rives de la mer de Laptev, une lettre d'une amie juive, F.K. Škliarskaitė (nom féminin lituanien issu du nom Shkliar ou Shklar), qui décrit toute l'horreur qu'elle voit tout au long de son avancée vers l'Ouest avec l'armée soviétique, la perte de sa famille, et son désir de vengeance. La lettre est écrite en Yiddish (Retranscription et traduction par Denis Eckert, 2023).
Bonjour Youzik,
J’ai reçu ta lettre aujourd’hui et je te réponds de suite. Tu te plains que nous t’écrivons rarement, mais inutile d’en parler.
Il y a beaucoup à dire à propos de la Lituanie et des centaines de fosses où sont couchés nos camarades et amis, sur mes parents, ma/mes sœur[s] et mon/mes frère[s], que l’on a torturés et fusillés dans la forêt d’Alytus, et bien d’autres choses encore. Mais, de tout cela, on n’a pas très envie de parler et d’écrire.
Je pourrais aussi, par contre, parler de vengeance, de sanglants combats, de victoires et des difficultés exceptionnelles dans ce combat pour anéantir cet ennemi sanguinaire. Yankele Kushner n’est plus, lui non plus. Il est tombé en terre ennemie déjà, près de la localité de Medewald.
Je pourrais t’écrire des tas de choses, seulement ces jours-ci on n’arrive pas encore à concentrer ses pensées. Tout est tellement étourdissant et violent que l’on ne peut pas se consacrer à écrire de manière détaillée.
Nous avons libéré Klaipeda, nous sommes en Prusse-Orientale, on a vécu dans des domaines abandonnés par des Boches enfuis. Oui, à la saveur de la vengeance nous avons déjà goûté. Mais nous serons bientôt dans les rues de Berlin. Si ce n’est pas nous en personne (la mort est traître, elle ne nous épargne pas assez souvent), alors ce sera nos camarades. Nous allons faire passer en jugement les assassins boches, le sang pour le sang, mort pour mort, et cela va être une compensation partielle de nos souffrances.
Reste fort et en bonne santé.
Fais confiance à l’avenir.
Feyge
Traduit du yiddish par Denis Eckert (2023)
1.
א גיט מארגן יוזיק!
a git morgn iuzik!
2.
כ′האב הײנט געקראגן דײן בריװ און כ′ענטפער דיר גלײך.
kh’hob haynt gekrogn dayn brif un kh’entfer dir glaykh.
3.
דו האסט פאריבל, װאס מיר שרײבן דיר זעלטן, אבער מה נאמר
du host faribel, az mir shraybn dir zeltn, ober ma noymer
4.
מה נדבר. דערצײלן איז דא א סך װאס, װעגן ליטע מיט הונדענרער
uma’nedaber. dertseyln iz do a sakh vos, vegn Lite mit hunderter
5.
גראבנס, װו עס ליגן אונזער כאװײרים און פרײנט, װעגן מײנע עלטערן
grobns, vu es lign unzere khaveyrim un fraynd, vegn mayne eltern
6.
שװעסטער און ברידער, װעלכע מען האט געפּײניקט און דערשאסן
shvester un brider/bruder, velkhe men hot gepaynikt un dershosn
7.
בײ אליטער װאלד. װעגן נאך און נאך: װעגן דעם אלץ אבער
bay aliter vald, vegn nokh un nokh: vegn dem alts ober
8.
װילט זיך אױסמײדן צו רײדן און צו שרײבן.
vilt zikh oysmadn tsu redn un tsu shraybn.
9.
כ′װאלט אבער אױך קענען דערצײלן װעגן נקמה, װעגן
kh’volt ober oykh kenen dertseyln vegn nekome
10.
בלוטיקע שלאכטן, װעגן זיגן און אױסערגעװײנלעכע שװעריקײטן
blutike shlakhtn, vegn zign un oysergeveynlekhe shverikaytn
11.
אין קאמף צום פארניכטן דעם בלוטיקן שונא.
in kamf tsum farnikhtn dem blutikn soyne.
12.
ניטא שױן אױך יאנקעלע קושנער. ער איז געפאלן
nito shoyn oykh yankele kushner. er iz gefaln
13.
שױן אױפן שונא′ס ערד לעבן סטאנציל Medewald
shoyn oyfn soyne’s erd lebn stantsie Medewald.
14.
כ′װאלט דיר א סך געקענט שרײבן, נאר הײנט צום טאג
kh’volt dir a sakh gekent shraybn, nor haynt tsum tog
15.
קען מען נאך די געדאנקען ניט קאנצענטרירן. ס′איז
ken men zikh tsu gedanken nit kontsentrirn. s’iz
16.
אַלץ אזױ רױשיק און שטורמיש, אז מען קען זיך ניט
alts azoy royshik un shturmerish, az men ken zikh nit
17.
פארנעמען מיט אױספֿירלעכן שרײבן.
farnemen mit oysfirlekhn shraybn.
18.
מיר האבן באפרײט קלײפעדע, מיר זײנען געװען
mir hobn bafrayt klaypede, mir zenen geven
19.
אין אסטפרױסן, געלעבט אין פארלאזענע אימעניעס פון אנטלאפענע
in ostproysn, gelebt in farlorene imenies fun antlofene
20.
יעקעס. יא ,דעם טעס פון נקמה האבן מיר שױן
yekes. yo, dem tam fun nekome hobn mir shoyn
21.
פארזוכט. מיר װעלן נאך אבער גײן אױף די גאסן פון
farzikht. mir veln nokh ober geyn oyf dis gasn fun
22.
בערלין. אױב ניט מיר פערזענלעך (דער טױט איז א כיטרער, ער
berlin. oyb nit mir perzenlekh (der toyt iz a khitrer, er
23.
שאנעװעט ניט גאַנץ אָפֿט), איז אונזערע כאװײרים. מיר װעלן
shanevet nit gants oft), iz unzere khaveyrim. mir velln
24.
משפּטן די יעקישע מערדער מיט בלוט פאר בלוט, טױט פאר
mishpetn di yekishe merder mit blut far blut, toyt far
25.
טױט און דאס װעט זײן א טײלװײזע סאטיספאקציע פאר אונזער לײדן.
toyt, un dos vet zayn a taylvayze satisfaktsie far unzer laydn
26.
זײ געזונט און שטארק.
zay gezunt un shtark
27.
האף אפן צוקונפט. פײגע
hof afn tsukunft. feyge
«Je pense que, d'une manière ou d'une autre, jusqu'à la mort je tiendrai»
Норильск. дня 10/IV. 5(1?).
Дорога Марусю i ти Дорогенька донечко Еленцю, знаближаючайся Весною з днем Праздника i воскресення Христова Витаю Вас, Христос Воскрес, з любови до вас з Серця i душi бажаю вам i Вашим подругам доброго здоровля в повностi на бравшись сьвiжих, Сил, що тя довгих лiт доброго i веселого життя .
Дорога Жена Марусю (…)
Я Сегодня Отримав вiд Вас письмо за ко(торое) вам дуже сердечно дякую, Якого я ожидав вiд вас i прийняв з радостiю, но схвилювало Мене що ти Марусю нi Слово не вiд повiля, я признаюсь тобi що я нi серцем нi словом не подумав злого супроти тебе i думка незродилась, Марусю я коли Одержав вiд Б-р. Дмитра листа дня 18.го листопада i вашу Адресу я зара (з) написав первих два письма до тебе, в груднi знову два Оден на Еленцю з побажанiом Нового Року i сьвят Рож. Христова i ваше письмо яке я перве Одержав.
... Я описав Вам про мвое здоровя i пережиття i подрiбно i ваше, i Оставшого синояко Модуся та про цiлу Родину , .. дня. 9 . сiчня я одержав ваше друге письмо з фото карткою, i вдруге навiдпо(вiдь) з подякою в мiсци написав Тобi i Еленцi, По Адресу Еленцi, в повностi я надiявсь щови Одержети, i знетерт(п)еливiстю дожидав вiд Вас вiдповiдi
Марусю може ти подумала що так не терпiливо Ожидала виходила навстрiчу авiн так довго не писав заледви перви письмо i то на Еленцю Ожидав пока з може ему сама написати.
Мовби тоя нiчо або гiрша недовiряя а бiльш (...Еленцi) Дорога Марусю Я недумав цiого i недумаю А вiрив i знаю що ти своïм дiтюм Мама. Я не маю рiзницi що ти менi жiнка а Еленя, Донечка, ти сама не скажеш що любиш бiльш себе чи мене як свою дитину бо знаеш що тiльки товя одна любов i надiя будучого що задля його живеш, Марусю я думаю щоти знаеш Мене що я ни числив тiльки насебе i насвое життя а без рiзницш що ти той i я, i нашi Дiти, то одна наша любов i наше будуче i судьба для нас випала одна, i наших дiтей, i сегоднi я думаю тiль просебе а про теби i нашiх дiтей (…) i знаю щови слабшi духом тiлом i здоровйом що вам бiль треба помогати як Mенi
...(Як) Мужчина зможу скорiш сам собi раду дати Якви в такiм пережитi, Марусю, Я Як виïздив з Тернополя, я передав письмо Б-р Дмитрови i просив Його щоб вiн не забував про вас про теби i Маленьку Донечку Еленцю, та Оставшегося сирiтку синочка Модеста щоб вiн був его Батьком i Опiкувався ним його здоровям i життям, а вам що буде всилi i можностi помагав хотяй зтого що позiстало, а замени забувайте наякмйсь час як зможу так буду жив боя сам безрадний на пораджу нiчого бо Остала вспинi тiльки Одна надiя якою живу i задля того я вас спросив в письмi бо я найбiльш думав про ваше життя i здо(ровля)
Дорога Марусю, Еленцю запитуе мене ше нуждаюся тови вислети посилку я дуже дякую за вашу думку i ваше серци що не забуваете Мене но я не бажаю бо знаю що ви самi щови багато немаети i слабе здоровя i що буде завтра...,
Бережiть Себе i свого здоровля а Я тут неголоден Хлiба ест унас настiльки нiхто не думае за хлïб а що маленько до хлiба товже найменеше. були часи i голоднi в сiляко переходило то якось пережив а зара лучше i меньше Осталося чим двайцять лiт каторги, всiо (всю) пройдя коп тiльки здоровя а життя i смерть побiдить,
... i знову життя, Ми жевем но пойку получаю в день сiмсот грам хлiба одна лiтра суп пiв лiт, кашi сiмдесiат грм. Риби оден оладик, повнестю висторгае, я ще нироблю а дальше низнаю, зперва робив на рiжних роботах i кравцем i шевцем муляром щикатуром будiвничим хлiборезом i на общих роботях що тiльки хочеш, державсь до сорок девятого, пока недуга не зло мила, запаленя леченiв паролiок серци бiль голови, дуже тяжко клiмат вiчно мерзлотя заполярiи, я уже два роки не роблю дальше низнаю як буде уже по трохо здоровий дуже скучаю за Вами думаю чи прийдется звами стрiнути, i побачити Родину снова та взаïмно хоть поговорити, зiсвоïми рiдними Марусю, Тута много людей з рiжних сторiн i знаших поблиских сiл, роблять Мають зачоти за оден день робочий зачислють два днi i три днi получають грошi вiд сто до двiстi залежить де хто робить i яку роботу, е взонi столова що можна купити зïстя добавити що там собi, но менiзавшо в моïм життi получается на оборот як було ще здоровя то робив задармо, а зара можно пiдробити нiмношк то мале здоровля но я затим не скучаю як нибудь думаю до смерти видержуi знову життя, Ми жевем но пойку получаю в день сiмсот грам хлiба одна лiтра суп пiв лiт, кашi сiмдесiат грм. Риби оден оладик, повнестю висторгае, я ще нироблю а дальше низнаю, зперва робив на рiжних роботах i кравцем i шевцем муляром щикатуром будiвничим хлiборезом i на общих роботях що тiльки хочеш, державсь до сорок девятого, пока недуга не зло мила, запаленя леченiв паролiок серци бiль голови, дуже тяжко клiмат вiчно мерзлотя заполярiи, я уже два роки не роблю дальше низнаю як буде уже по трохо здоровий дуже скучаю за Вами думаю чи прийдется звами стрiнути, i побачити Родину снова та взаïмно хоть поговорити, зiсвоïми рiдними Марусю, Тута много людей з рiжних сторiн i знаших поблиских сiл, роблять Мають зачоти за оден день робочий зачислють два днi i три днi получають грошi вiд сто до двiстi залежить де хто робить i яку роботу, е взонi столова що можна купити зïстя добавити що там собi, но менiзавшо в моïм життi получается на оборот як було ще здоровя то робив задармо, а зара можно пiдробити нiмношк то мале здоровля но я затим не скучаю як нибудь думаю до смерти видержуi знову життя, Ми жевем но пойку получаю в день сiмсот грам хлiба одна лiтра суп пiв лiт, кашi сiмдесiат грм. Риби оден оладик, повнестю висторгае, я ще нироблю а дальше низнаю, зперва робив на рiжних роботах i кравцем i шевцем муляром щикатуром будiвничим хлiборезом i на общих роботях що тiльки хочеш, державсь до сорок девятого, пока недуга не зло мила, запаленя леченiв паролiок серци бiль голови, дуже тяжко клiмат вiчно мерзлотя заполярiи, я уже два роки не роблю дальше низнаю як буде уже по трохо здоровий дуже скучаю за Вами думаю чи прийдется звами стрiнути, i побачити Родину снова та взаïмно хоть поговорити, зiсвоïми рiдними Марусю, Тута много людей з рiжних сторiн i знаших поблиских сiл, роблять Мають зачоти за оден день робочий зачислють два днi i три днi получають грошi вiд сто до двiстi залежить де хто робить i яку роботу, е взонi столова що можна купити зïстя добавити що там собi, но менiзавшо в моïм життi получается на оборот як було ще здоровя то робив задармо, а зара можно пiдробити нiмношк то мале здоровля но я затим не скучаю як нибудь думаю до смерти видержу
...Дорога Марусю i Ти Еленцю,
Нижалуйтесь на мени, знаю що болючо i прикро, я хотiв чим скорiш авоно получается на оборот, дорогенька Моя i Менi не подушi болючо вiдчуваю твоï бажання я повнiстю надiявсь що Ви моï письма Одержите, i, я знетерпиливiстю Ожидав вiд вас вiдповiдi, а коли я Одержав вiд вас письмо оденоше так тiль вiд Еленцi то я зродушiв що ви моех чотирох листiв неотримали тiльки останнiй з (…) ciчня. в який мало жив Маркл i по Адресi Еленцi, Мною потрясло болючо знаеш Мiкацi пройш (…) i не так скоро знову роспишеся, А в нас розрiшають тiльки 2-во письма в мiсяц сюди можна бiльше, Марусю, на пиши на пиши ти бiльше знаеш хто на нашi хатi живе чи сосiди ще живуть тi добрi що ми були солю в ïх очях, i сестра настя i ганка живi та здоровi чи писали до теби i про Iвана Мiха, чи вiн Оженився не споминали нiчо пронего, жаль що Б-р, Д-м, Попов (…) курорт. Пiсля Гуляння Милий.
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Спочинок Одно що трохо за до вас Менi що то предчувалося, снилося Менi ще посьвятах що дуже зуби болiли i Я витягнув половину зуба, i ми мучило через кiлька днiв i ночей заснути немiг думав про Вас i про модя щоб чолом що не сключилося, Я Модiови написав щоб вiв себе чесно берiх свого здоровя i життя слухав дя-Д-м який виховував йго i вказував дальшу путь его життя, напиши Марусю чи вислав вам свою фото карточку бо я дожидав хотiв так подивитеся на нiого як виглядае i трудно писав що вислав що в груднi i досигоднi нема.
Марусю i Ти Дорогенька Еленцю пишiть до мене часто, недумайте що Я за Вас забув, хоть далеко Я iз вами, но серцем душою Я завше Мiж. Вами,
Дорога Марусю i Ти Дорогенька Еленцю, кiнчу свою розмову звами прощаю вас, цiлую Вашi уста солодкi бажаю Вам, Веселих Свят,
Христос Воскрес
Бажае Вам Твiй Муж i рiдний
Петро, М-
Norilsk. 10/IV. 51(?)
Chère <abr diminutif de Maria> Maroussia </abr> et toi, chère fillette Elena, je vous salue avec le printemps qui arrive, Joyeuses Pâques, le Christ est ressuscité, avec amour pour vous et vos amis, je souhaite de tout mon cœur et mon âme bonne santé, que vous preniez des forces, longue vie bonne et heureuse.
Ma chère épouse Maroussia (…)
J’ai reçu aujourd’hui votre lettre, et je vous remercie cordialement, je l’ai attendue et je l’ai reçue avec joie, mais ce qui m’a inquiété, c’est que toi, Maroussia, tu ne m’as pas écrit un seul mot. Je t’avoue que je n’ai rien pensé de mal contre toi, ni dans mon cœur, ni dans la pensée. Maroussia, quand j’ai reçu la lettre de mon frère Dmitri, du 18 novembre, et votre adresse, je t’ai écrit tout de suite deux lettres, puis deux encore en décembre, une lettre pour Elena avec mes vœux pour le nouvel an et Noël et une réponse à votre première lettre que j’ai reçue.
...Je vous ai décrit l’état de ma santé et mes inquiétudes sur vous et mon fils délaissé Modest et sur tous mes proches, …le 9 janvier j’ai reçu votre deuxième lettre avec la photo, et tout de suite, je vous ai répondu et je vous ai remercié Toi et Elena, à l’adresse d’Elena en espérant tant que vous la receviez et j'ai attendu avec impatience votre réponse.
Maria, tu as peut-être imaginé quelque chose, tu attendais avec impatience, tu sortais attendre le facteur mais il [Piotr, dans ce passage écrit à la 3e personne] n’écrivait pas depuis tant de temps; et voici seulement la première lettre qui arrive et elle est pour Elena. Il [Piotr] a attendu quand elle-même (Maroussia, l’épouse de Piotr) pourrait lui écrire.
Comme si j’étais nul ou comme si je te faisais moins confiance qu’à Elena. Chère Maroussia, je ne pense pas et je ne pensais pas ceci, mais je croyais et je sais que tu es la maman de tes enfants. Je ne fais pas de différence, tu es mon épouse et Elena est ma fillette. Toi-même, tu ne diras jamais que tu t'aimes ou que tu m'aimes plus que ton enfant, car tu le sais, tu vis par ce seul amour et cet espoir en l’avenir. Maria, je pense que tu me connais, je ne pensais pas uniquement à moi et à ma vie, bien au contraire : ce que tu es, c’est ce que je suis et nos enfants, c’est notre amour et notre avenir, et nous et nos enfants n'avons qu'un seul destin. Aujourd’hui encore je pense à moi, à toi et à nos enfants (…) et je sais, que vos esprits, vos corps et votre santé sont plus faibles, que vous avez besoin de plus de soutien de moi,
...Etant un homme, je pourrais donner plus facilement conseils, mais vous, Maroussia, comment faites-vous avec tous ces soucis ? Quand je suis parti de Ternopol, j’ai transmis une lettre à mon frère Dimitri et je lui ai demandé de ne pas vous oublier: toi, ma petite fille Elena et mon fiston Modest, devenu orphelin. (Je lui ai demandé) qu’il [Dmitri] soit son père [de Modest] et qu’il prenne soin de lui, de sa santé et de sa vie. En ce qui vous concerne, s’il y a des forces et des possibilités, laissez-vous aider, au moins avec ce qui reste. Et moi, oubliez-moi, d’une manière ou d’une autre, je survivrai comme je pourrai, puisque je suis invincible, alors ce n’est pas grave, (juste) que mon dos aille mieux. Je vis avec un seul espoir et pour cela je vous ai demandé dans les détails de votre vie et des nouvelles sur votre santé auxquelles je pense tant.
Chère Maroussia, Elena me demande si j’ai besoin de quelque chose pour que vous m’envoyiez un colis. Je vous remercie sincèrement pour ces pensées et pour votre cœur, vous ne m’oubliez pas. Mais je ne souhaite pas de colis, puisque vous-même n’avez pas beaucoup et que votre santé est faible et qui sait demain…,
Prenez soin de vous et de votre santé; ici je n’ai pas faim : il y a tellement de pain, que personne n’y pense, bien que ce qui va avec le pain, il y en a beaucoup moins. Il y a eu aussi des périodes de famine, il y a eu tout, mais j’ai survécu et maintenant ça va mieux, et il me reste moins de vingt ans de travaux forcés. Tout passe, s’il y avait seulement la santé, et la vie l’emportera sur la mort.
...… et à nouveau la vie, nous vivons. Je reçois la ration journalière suivante : sept cent grammes de pain, un litre de soupe, une livre de </abr bouillie de sarrasin> kacha</abr>, soixante-dix grammes de poisson, une crêpe – cela suffit entièrement. Je ne travaille pas encore, mais ne sais pas ce qui va arriver prochainement. Au début j'ai fait divers travaux : tailleur, cordonnier, peintre en bâtiment, plâtrier, bâtisseur, j’ai coupé le pain et j’ai travaillé aux travaux collectifs – tout ce que tu veux. J'ai ainsi tenu jusqu'à l’année quarante neuf, quand la maladie m'a cassé : la pneumonie, les maladies du cœur, le mal de tête, le climat qui est extrêmement difficile – le pergélisol polaire. Je ne travaille plus depuis deux ans déjà et ne sais pas ce qui va se passer prochainement mais je me sens déjà un petit peu mieux. Vous me manquez beaucoup, je me demande : pourrai-je vous rencontrer et à nouveau revoir mes proches et parler avec eux. Maroussia, il y a beaucoup de gens ici de partout et aussi de nos villages voisins ; ils travaillent, deux-trois jours de travail sont comptabilisés pour une journée de travail, ils reçoivent de l’argent, de cent à deux cents roubles en fonction du lieu et de la nature du travail. Dans la zone il y a une cantine où il est possible d’acheter de la nourriture en plus. Alors que chez moi comme toujours, tout dans ma vie se trouve à l’envers : quand j’avais la santé, je travaillais gratuitement et maintenant, quand il est possible de gagner un peu, je n'ai plus la santé. Mais le travail ne me manque pas, je pense, que d’une manière ou d’une autre, je tiendrai jusqu’à la mort.
... [page manquante]
...Premièrement, en ce qui vous concerne, je pressentais quelque chose, déjà pendant les fêtes, j’ai rêvé que j’avais mal aux dents et que j’ai cassé et sorti la moitié d’une dent. Ce rêve m’a torturé pendant quelques jours et je ne pouvais pas dormir la nuit, j’ai pensé à vous et à Modest, en espérant que rien de grave ne se produirait. J’ai écrit à Modest pour qu’il se conduise honnêtement, soigne sa santé et sa vie, écoute l’oncle Dimitri qui l’éduque et lui montre la voie à suivre dans la vie. Maria, écris-moi. Modest t’a-t-il envoyé sa photo, je l’ai tant attendue, je voulais tant le regarder, voir à quoi il ressemble. Il a écrit et souligné qu’il te l’a envoyée en décembre, alors que je ne l'ai toujours pas reçue.
Maria et toi, chère Elena, écrivez-moi plus souvent, ne pensez pas que je vous ai oubliées, même si je suis loin, je suis avec vous, de tout mon cœur et mon âme, je suis toujours auprès de vous.
Chère Maroussia et toi, chère Elena, je conclus cette discussion avec vous, je vous salue, j’embrasse vos bouches sucrées et vous souhaite de joyeuses fêtes,
Christ est ressuscité,
ton époux et cher
Piotr, M.
Transcription et traduction: Anastasia Gorelik
© Micheline Herc Recto d'une carte envoyée de Paris, à la mère de Micheline Herc au Kazakhstan, arrivée le 21/11/1945,
© Micheline Herc Verso de la carte précédente
© Micheline Herc Recto d'une carte envoyée de Paris, à Saïram
© Micheline Herc Lettre envoyée le 16/6/1945 de Paris, reçue à Saïram le 5/4/1946
© Micheline Herc Verso de la lettre envoyée le 16/6/1945 de Paris, reçue à Saïram le 5/4/1946, écrite le 14/6
© Micheline Herc Courrier de Ida Radilovski, femme du grand-oncle maternel de Micheline, à la mère de cette dernière, de Moscou à Saïram
© Micheline Herc Lettre de Ida Radilovski, femme du grand-oncle maternel de Micheline, à la mère de cette dernière de Moscou à Saïram
© Micheline Herc
Lettres d'ailleurs
En déportation, dans les coins reculés du Grand Nord russe ou au Kazakhstan, les parents de Micheline Herc reçoivent des lettres venant de Paris, de Châteauneuf-la-Forêt, en France, aussi bien que de Moscou, toutes écrites par des parents. Ces lettres témoignent d’une rare mais réelle circulation entre ces mondes éloignés les uns des autres.
La plus étonnante est sans doute celle qui, partant de Châteauneuf-la-Forêt le 18 mars 1941, arrive au « point Chirbozero, centre postal d’Osinov, district de Priozernyï, région d’Arkhangelsk », un lieu perdu au fin fond de cette région du Grand Nord soviétique. Nous ne savons malheureusement pas combien de temps elle a mis pour arriver. Elle semble avoir été expédiée par l’intermédiaire de la Croix rouge.
Il y a aussi plusieurs lettres envoyées à Saïram, là où Micheline a passé son enfance kazakhe. Les délais sont longs : l’une d’entre elles, écrite le 14 juin 1945 à Paris, passe à Moscou le 12 janvier 1946, à Alma Ata le 12 mars et arrive à destination seulement le 5 avril, après être passée par la censure militaire. Elle a mis un peu moins d’une année pour atteindre sa destination. Micheline Herc la reçut, mais il s’en est fallu de peu, car elle part de Saïram, pour la Pologne, un mois plus tard...
Les lettres envoyées de France le sont par Marie (Mary sur les lettres) Rosenberg, sœur de la mère de Micheline Herc, qui vivait en France.
Figure aussi une lettre d’Ida Radilovski, chanteuse lyrique, épouse de David Radilovski, grand-oncle de Micheline par la ligne maternelle, qui fut directeur du GUM à Moscou (le grand magasin moscovite) après la Révolution. La lettre a été envoyée de Moscou le 10 septembre 1945 et est arrivée le 18 septembre au Kazakhstan.