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Devenir soviétique
Après une suite de violences, qui marquent le moment de la déportation, de nombreux déplacés spéciaux, arrivés en Sibérie ou en Asie centrale, perçoivent un monde qui, malgré sa dureté, offre certaines voies d'intégration. La situation matérielle des populations locales leur apparaît étonnamment proche de la leur. Ils ont en commun leur expérience de main d’œuvre dans les kolkhozes et l’industrie forestière.
La socialisation et l’intégration de ces nouveaux arrivants passent avant tout par le travail, qui peut combiner travail collectif, encadré et commandé, et activités annexes (notamment dans un potager individuel). Le travail collectif les contraint à adopter les formes d’organisation et les valeurs sociales soviétiques : importance de l’équipe, acquisition d’une compétence technique dans le cadre de la mécanisation du travail, vécue comme promotion, récompenses liées à la carrière et à la quantité de travail fourni. Certains adhèrent ainsi, peu à peu, à un discours qui glorifie le travail, met en valeur la domination de l’homme sur la nature par la construction de grands complexes industriels et urbains.
L’intégration à ce monde soviétique passe aussi par l’adoption de stratégies de survie qui lui sont propres, telles que la participation aux échanges de services non monétarisés. Ainsi, de nombreux témoins évoquent ces machines à coudre qui ont permis à nombre de familles lituaniennes en déportation de survivre. Les échanges de services peuvent ouvrir les portes à l'intégration dans la communauté locale, dont les pratiques sont soviétiques, y compris avec ce que cela comporte de contournements et d'évitements.
Ces modes d’intégration et de promotion sociale sont d’autant plus importants que d’autres plus politiques, comme le Komsomol ou le Parti, sont partiellement ou complètement fermés aux déportés.
Texte : Emilia Koustova